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Qui est l'enfant intérieur? 1ère partie

Une légende raconte…

Une légende[1] raconte qu’un jour, il y a très, très longtemps, un pêcheur désespérait de trouver sa nourriture dans des eaux autrefois fécondes. Las, il lança une dernière fois son filet en rêvant de quelques poissons bien charnus. Soudain, le filet devint lourd et le pêcheur ravi jeta ses dernières forces dans la bataille. En remontant son piège, il découvrit un tout petit corps recroquevillé. En ouvrant les yeux, cet enfant lui dit :

” Aucun homme ne voit ce qui le soutient…

Si faible et si petit que je sois,

Sur la rive balayée par l’écume de l’Océan, au jour de la peine,

Je te serai plus utile que trois cents saumons. “

Nombre d’histoires et de mythes rapportent l’intervention miraculeuse d’un enfant dans la destinée humaine. L’image de l’enfant peuple notre inconscient collectif et aucune contrée au monde n’échappe à sa puissance évocatrice. Elle rappelle l’existence de l’être enfantin au cœur de chaque adulte. On le nomme couramment l’enfant intérieur. Qui est-il ? Pourquoi restons-nous le plus souvent sourds à son appel ? Quelle promesse porte-t-il en son sein ? Quelle place lui accorder dans notre vie adulte ?

La découverte de l’enfant en soi est vitale. Beaucoup d’adultes refoulent leur enfant intérieur comme ils respirent. Pourtant cette image est bien plus qu’une métaphore du vécu de l’enfance ; elle est une source de reviviscence, d’amour et de félicité. Grand est celui qui retrouve son cœur d’enfant. Aucun adulte ne peut espérer s’accomplir pleinement sans prendre soin de son enfant intérieur.

 

L’histoire de l’enfant intérieur

Pour mieux appréhender qui est l’enfant intérieur, un petit détour historiographique s’impose pour mieux comprendre l’évolution d’un concept qui, bien que central en psychologie, demeure encore méconnu et source de méprises.

La rencontre avec son enfant intérieur est, avant tout, une profonde expérience de résilience permettant de dépasser les souffrances du passé et de rebondir en adoptant des comportements plus justes et plus épanouissantes au quotidien.

A ce titre, l’histoire de Thérèse Martin (1873-1897) est exemplaire. Après le décès de sa mère alors qu’elle n’a que quatre ans, la petite Thérèse est traumatisée, souvent désespérée ou malade. Accompagnée dès son plus jeune âge par des visions mais aussi des troubles nerveux et psychiques (tremblements, hallucinations, crises de frayeur, culpabilité toxique, etc.), elle décide de devenir carmélite et commence son noviciat en 1888. Devenue Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face, sa relation au Christ abandonné sur la croix lui sert à penser et à panser l’enfant blessé en elle. Elle apprend à se materner en envisageant Dieu comme une bonne mère grâce à l’image de Marie à laquelle elle s’identifie. Ce reparentage (une expérience unique que l’on ne verra apparaître en psychologie que dans les années 1970-80) lui offre une résilience spirituelle qui soutient et amplifie les compétences, les ressources et les potentialités de son être. Thérèse meurt emportée par la tuberculose à l’âge de 24 ans.

Les travaux de Carl Gustav Jung (1875-1961) sont une autre étape majeure pour appréhender l’enfant intérieur. Médecin, psychiatre et fondateur de la psychologie analytique, Jung est le premier à éclairer l’archétype de l’enfant divin, une idée-force qui peuple notre inconscient collectif. Cette expérience le marquera profondément et ses mots résonnent encore aujourd’hui par leur perspicacité et leur profondeur: « En parlant de l’enfant, il devrait être question de l’enfant à l’intérieur de l’adulte. Cet enfant est vivant, cet enfant est éternel; il est en devenir constant, jamais accompli. Il demande un soin particulier, une attention et une éducation. C’est la partie de la personnalité humaine qui aimerait développer son intégrité. »

Roberto Assagioli (1888-1974), médecin et neuropsychiatre, fonde la psychosynthèse, une approche psychothérapeutique transpersonnelle, systémique et intégrative. Dans les années 60, il inspire directement des groupes de Bear Therapy où des ours en peluche symbolisent les enfants intérieurs des participants. Pour Assagioli, l’enfant intérieur n’est pas un état du Moi ou une sous-personnalité[2] mais le cœur ou noyau de la personnalité toujours sensible, vulnérable et en intime communion avec la source profonde de chaque individu, le Soi.

De nombreux psychologues du développement ont permis, avec le temps, de mieux comprendre la nature de l’enfant et de ses besoins. Des personnes aussi éminentes que Jean Piaget, Maria Montessori, Erik Erikson ou Françoise Dolto ont posé les pierres de fondation d’une véritable révolution de la pensée au sujet de l’enfant dont la figure de proue est Alice Miller (1923-2010). Dès les années 80, les travaux de ce docteur en philosophie, en psychologie et en sociologie ont un retentissement mondial. Alice Miller s’attaque au déni de la vérité de l’enfant en soi et milite pour un positionnement thérapeutique lucide et bienveillant qui prend en compte ce que l’on nomme aujourd’hui les violences éducatives ordinaires. Nombre de ses recherches sont aujourd’hui validées et confirmées par les neurosciences affectives. Durant les années 90, plusieurs chercheurs deviennent des spécialistes de l’enfant intérieur comme Charles Whitfield, Margaret Paul ou John Bradshaw.

Ce résumé historique de l’enfant intérieur rappelle que la conscience de l’enfant en soi est très récente en psychologie. Ce concept intégratif, qui puise sa richesse d’horizons variés, est aujourd’hui indissociable des nouvelles connaissances acquises sur l’enfant en tant qu’être de besoins. L’enfance est une vie distincte de celle de l’adulte, une expérience du noyau commun à toute l’humanité, ce qui explique que l’enfant soit une image universelle porteuse de possibilités insoupçonnées.

 

La nature de l’enfant intérieur

Dans le célèbre conte intemporel d’Antoine de Saint-Exupéry, l’aviateur rencontre le Petit Prince dans le désert suite au crash de son avion. Il tente d’apprivoiser cet enfant qui demeurera un mystère pour lui. Cette histoire illustre la difficile rencontre avec l’enfant intérieur exilé au cœur de l’être. Pourquoi cet exil ?

L’enfant intérieur est en premier lieu la mémoire du tout petit être humain que nous étions avec nos joies et nos peines. Nul ne reconnaît aisément l’enfant qu’il a été. Nous sommes tous, plus ou moins, victimes d’une vision mystifiée, héritage d’une histoire mouvementée de l’enfant au fil des siècles. Nombre de personnes agissent comme si l’enfant était par nature mauvais, manipulateur, infantile, immature et incompétent. Dans cette tradition passéiste, l’enfant a besoin d’être « éduqué » pour devenir une bonne personne, un adulte intégré et responsable.

Cette vision, remise en cause très récemment, a été relayée et parfois accentuée par certaines théories psychanalytiques. Il est primordial de transformer son propre regard sur la nature de l’enfant pour ouvrir les portes de son âme dont l’enfant intérieur est la clef.

     L’enfant blessé qui existe en chacun est la première victime de la négation des véritables spécificités de l’être enfantin. Ses ressentis subtils sont balayés par l’adulte « éduqué » dès l’enfance à renier en lui le sensible et le vivant. Ainsi l’enfant intérieur blessé pleure seul dans un désert immense, oublié et abandonné à sa douleur de ne pas être considéré avec empathie et bienveillance. Face au silence assourdissant du déni de sa vérité intérieure, il rêve de rejoindre son étoile, sa source. Cette nostalgie du paradis perdu taraude un grand nombre d’entre nous jusqu’au jour où notre conscience s’éveille. Nous sommes en réalité éduqués à nous abandonner nous-mêmes.

Qui viendra rassurer l’enfant intérieur blessé et lui murmurer les mots qui guérissent ? « Tu as le droit de ressentir toutes les émotions. Tu as le droit d’avoir de nombreux besoins. Tu as le droit de t’amuser et de jouer quand tu en as envie. Tu as le droit de dire ta vérité telle que tu la sens. Tu as le droit d’être vulnérable. Tu as le droit d’être aimé et d’aimer comme bon te semble. »[3]

La seule personne espérée par l’enfant intérieur est l’adulte que nous sommes aujourd’hui. Notre enfant intérieur blessé ne désire pas une réparation extérieure. Il n’attend rien de celles et ceux qui se sont révélés déficients dans son enfance. Certains professionnels de la relation d’aide continuent à penser que l’enfant intérieur blessé est la cause des maux de l’adulte[4]. Ils ne perçoivent pas que les attachements toxiques au passé proviennent de l’incapacité à reconnaître et à valider la vérité de l’enfant en soi. Pour que son exil prenne fin, l’enfant intérieur blessé a besoin d’un adulte qui lui prenne la main et avance avec lui.

Ne ressentez-vous pas parfois un vide qui se creuse en vous ? N’est-il pas temps de rentrer à la Maison avec celui qui se languit de vous depuis trop longtemps et espère vos bras et la chaleur de votre amour ?

     L’enfant doué en chacun est la seconde victime de la négation des véritables spécificités de l’être enfantin. Il symbolise les besoins fondamentaux et les pouvoirs créatifs de l’être humain. Il est aussi l’expression du moi véritable et vivant dans sa nature innocente, libre, magique, joueuse et régénératrice. Autant de précieuses dimensions régulièrement perçues comme immatures et vouées à disparaître avec l’âge. La perte de l’enfantin au cours du développement psychosocial d’un individu est une tragédie. Ce sont les forces vives, audacieuses, inventives et poétiques de l’être qui sont ainsi refoulées.

Aujourd’hui, l’un des principaux travers de certains courants psychologiques est de considérer l’humain comme une machine à réparer à grand renfort de techniques dont on vante l’efficacité et les vertus indolores. C’est une façon d’éluder la place et la légitimité de la souffrance humaine. Cette dernière est forcément subjective, c’est pourquoi la vérité intérieure d’un individu dérange souvent. Quand un enfant dit qu’il a mal, faut-il lui répondre que non ! Quand un enfant est triste, en colère ou apeuré, faut-il le persuader qu’il n’a aucune raison de ressentir ce qu’il ressent ! Quand un enfant exprime un mal-être, faut-il l’imputer à son immaturité ! L’enfant intérieur en souffrance est nié depuis toujours en chaque adulte.

La plus grande souffrance en chaque individu est de ne pas avoir été reconnu dans son essence, soutenu et encouragé dans son expression sensible et vivante. Pour libérer toutes ses richesses, votre enfant intérieur attend que vous sortiez du long tunnel du déni pour lui murmurer ces mots salvateurs : « Je sais que tu as eu mal et que tu t’es senti abandonné(e). Je suis tellement désolé(e), triste et indigné en ton nom. Prends-moi la main et je te promets de ne plus la lâcher. Et, si cela arrive de nouveau, tu peux m’appeler et je t’écouterai.»

     L’enfant intérieur représente le Moi véritable et authentique, c’est à dire l’expérience sensitive, émotionnelle et imaginative du moi sensible et vivant dans son expression naturelle (enfant intérieur doué) et entravée (enfant intérieur blessé). La rencontre avec l’enfant intérieur pose à chacun une question existentielle : « Quelle personne es-tu si tu n’es pas capable d’amour, d’empathie et de compassion pour ce qui est petit et sensible en toi ? »

L’enfant intérieur est un allié indispensable dans la quête d’individuation. Là où l’enfant blessé permet de transcender les souffrances inhérentes à la vie, l’enfant doué connecte aux forces innées de l’être humain. Ainsi l’enfant intérieur est le sésame pour vivre pleinement et donner du sens à notre existence.

 

A SUIVRE…

Marie-France et Emmanuel Ballet de Coquereaumont*

Tous droits réservés – Mars 2018

* Psychopraticiens d’inspiration jungienne, spécialistes reconnus et renommés de l’enfant intérieur (dans la lignée des travaux d’Alice Miller et de John Bradshaw) depuis 1990, Marie-France et Emmanuel sont co-fondateurs de la Méthode Cœur d’enfant, formateurs, co-auteurs de livres traduits en plusieurs langues, conférenciers et experts auprès de nombreux médias nationaux.

 

[1] Episode rapporté dans le Livre de Taliesin, un recueil de poèmes manuscrits du xème siècle. La légende fait de Taliesin le Chef des Bardes de Bretagne. Il est souvent associé à Myrddin, Merlin l’enchanteur.

[2] C’est un point crucial du concept d’enfant intérieur souvent oublié par ceux qui se réfèrent uniquement aux travaux d’Eric Berne et à l’Analyse Transactionnelle. Les recherches de Hal et Sidra Stone soulignent que l’enfant intérieur n’est pas qu’une simple sous-personnalité.

[3] L’enfant intérieur a besoin de nouvelles autorisations pour que ses droits fondamentaux en tant qu’être humain sensible et vivant soient reconnus. Ces exemples sont extraits de notre ouvrage L’Oracle de l’enfant intérieur, Le Courrier du Livre, 2017.

[4] La confusion entre l’enfant intérieur blessé et l’enfant adapté explique cette méprise largement répandue. Un nouvel article « Distinguer l’enfant intérieur de l’enfant adapté » sera prochainement publié sur le blog.

6 COMMENTS

  • chantaldenoblet dit :

    merci pour ce cadeau, j’attends avec impatience la suite chantal

    • PETIT Christian dit :

      Gratitude et immense merci d’être ce que vous êtes et d’avoir ainsi creuser ce merveilleux sillon de l’enfant divin qui nous amène au Soi et à toute l’odyssée ouverte par C.G. Jung! Dr Christian PETIT

  • Evelyne PANEELS dit :

    Moi, j’ai tant souffert avec lui :
    Merci pour cet éclairage !!
    Evelyne

  • Nathalie Maubourguet dit :

    Bonjour,

    Merci pour cet article auquel j’adhere. J’ai cependant une question/reserve: que faites vous de la dimension culturelle qui peut faire de nombreux enfants parentalises. J’ai fait ma thèse sur l’attachement et la culture et même si de nombreuses couches d’adaptations sont présentes chez certains adultes aujourd’hui en partie due a leur culture, on ne peut pas forcément aborder leur enfant intérieur sans remettre en cause cette culture ce qui pose problème. Etes vous donc partisan de l’Universalite de l’attachement? Merci pour cet éclairage important et pour tous vos ouvrages passionnants.
    Nathalie

    • coeurdenfant dit :

      Bonjour Nathalie,
      Si l’attachement est universel (au sens de commun à tous les êtres humains), il est certain que les processus d’adaptation sont indissociables des contextes familiaux et culturels dans lesquels ils s’effectuent. En thérapie, nous prenons soin d’entrer dans les caractéristiques culturelles de chaque individu pour ne pas coller un modèle occidental. Dans mon expérience, je constate que dans toutes les cultures il existe des voies d’individuation spécifiques permettant à chaque individu de trouver comment délivrer certaines facettes de son enfant intérieur. Nous avons travaillé avec des personnes de toutes origines et le concept d’enfant intérieur semble toucher les individus de tous les continents.
      Bien chaleureusement
      Emmanuel

  • Houpin dit :

    je viens de vous lire avec grand intérêt. merci pour ces éclaircissements.
    Béatrice

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